Discrètement jusqu’à ce jour, je milite pour Montpeyroux. Depuis 20 ans ou presque. Soit, mais pour quelle raison ? Lisez plutôt si vous en avez le courage.
Ce n’est en rien de ma faute si des hurluberlus de la hiérarchisation viticole basés à Montpellier et ailleurs ont cru bon de créer des zones (Pézenas, Grès de Montpellier, Terrasses du Larzac…) à celles déjà existantes (Saint-Georges-d’Orques, Saint-Saturnin, Cabrières…) depuis au moins l’ère des VDQS (années 50) et même bien avant, semant un peu la zizanie dans un Languedoc déjà à couteaux tirés avec les technocrates de tous poils. Bien avant ? Il me semble que les négociants soucieux de rajouter une once de qualité dans leurs vins venaient puiser les bons vins là où ils se trouvaient, et particulièrement dans cette zone proche de Clermont-L’Hérault, à Montpeyroux, mais aussi dans les villages voisins, à Jonquières, Aniane ou Saint-Saturnin, précisément là où les bons grenaches et les antiques carignans n’ont pas attendu qu’on les déclare aptes à faire du vin de belle allure pour exister.
Je sais, je rabâche, ou plutôt je radote vu mon look de plus en plus marqué de vieux cep errant. J’en parlais déjà (ICI) dans une chronique qui n’intéressait personne et c’est pour cela que je reviens aujourd’hui à la charge en y mettant un peu plus de conviction et de poil à gratter. Dans ce Languedoc en mal de reconnaissance, les querelles de clochers, de droite comme de gauche, vont bon train et le maquis d’appellations plus ou moins bien contrôlées est en train de bouillonner. Ici, les pontes de l’appellation Languedoc (ex Coteaux) parlent de pyramide et ils en sont à ériger le sommet. Avec à la base, un simple Languedoc comme il est prévu d’avoir des vins Loire, Rhône ou Provence. Faut simplifier les gars vu que le public à l’air con comme la lune…
Cette simplification, qui complique une situation passablement embrouillée, fait que si l’on n’y prend garde des vins à la qualité aussi évidente que Faugères, Corbières ou Minervois, risquent fort de se trouver relégués au second étage d’une pyramide qui verra des crus plus récents qu’eux et qui plus est créés en leur sein (Boutenac, La Livinière, Pic Saint-Loup et cie) placés au sommet, donc à long terme les plus rentables. Comment peut-on nier l’historicité, la réalité, la qualité d’un terroir comme Faugères qui peut se voir un jour retranché en zone de second ordre face à des mastodontes encore jeunes comme Terrasses du Larzac ou Grès de Montpellier englobant de nombreuses communes aux terroirs peu uniformes ? Je vous avais prévenu que ce serait compliqué.
Les nouvelles bouteilles signées Christian Audigier pour la cave de Montpeyroux... des vins de cépages et non d'appellation !
Donc, moi, modeste journaleux de base, un brin franc tireur, Parisien d’origine de surcroît, et donc "estranger", j’ai l’outrecuidance de dire que tout ce micmac ne me plaît guère. J’ose croire dans ma naïve inculture languedocienne que des terroirs qui ont déjà le droit de mettre le nom de leur clocher sur l’étiquette depuis plus de 50 ans et à qui l’on a toléré ce droit dès l’avènement des Coteaux-du-Languedoc dans les années 80 ont raison de penser qu’ils peuvent se distinguer au point de réclamer le droit, justement, à la différence à défaut de demander leur indépendance. C’est d’autant plus normal que cette démarche s’opère logiquement avec les « experts » mandatés par l’INAO, qu’elle s’accompagne d’efforts significatifs grâce à un cahier des charges, plus normal encore si la cave coopérative du village qui assure à elle seule 80 % de la future appellation est en parfaite symbiose avec la vingtaine de caves particulières. Et c’est encore plus logique enfin si de belles terres de marnes bleues sont concernées et que le cépage carignan est relégué à son rôle de bon plant et non point de petit merdeux d'origine espagnole. Intéressante et originale aussi la démarche pour le moins novatrice en France qui consisterait à stipuler dans un décret que tels et tels cépages seraient concernés par l’appellation – quatre, si j’ai bien compris, syrah, carignan, grenache et mourvèdre – sans qu’il y ait pour autant de proportions imposées.
Sylvain Fadat, maillot jaune du cru Montpeyroux
Puisque j’aime Montpeyroux, il est naturel que je prenne la défense de ce village. Pourquoi ? Pardi, parce qu’un dénommé Fadat, Sylvain de son prénom, m’a prouvé, il y a 20 ans que son terroir faisait de grands vins, que l’on y plante du grenache, du cinsault, de la syrah, du mourvèdre ou du carignan. Aujourd’hui, Sylvain est un des rares vignerons du Languedoc à avoir stocké plus de 8.000 bouteilles de sa production de millésimes vieux de plus de 10 ans, le seul à pouvoir offrir une verticales sur 20 ans. Il l’a fait non pas uniquement pour vendre ou pour frimer, mais pour souligner la qualité de son terroir. Et pourtant ses vins ne sont pas encore reconnus comme faisant partie des grands, du moins dans les guides nationaux. Sylvain est un peu le leader de toute cette bande de vignerons montpeyrousiens qui souhaitent confirmer leur statut de cru. Je serais attristé de constater que d'autres vignerons mal intentionnés voient de travers la volonté des habitants de Montpeyroux de se mettre en avant. Certains, et non des moindres, auraient souhaité qu’ils se conduisent comme les moutons en transhumance qui jadis traversaient les rues du village. Ils auraient aimé les voir rallier en masse l’appellation Terrasses du Larzac qui les enserre, appellation à laquelle les vignerons de Montpeyroux ne sont pas opposés d'ailleurs puisque certains ont des terres classées dans cette zone. Bref, je ne voudrais pas que la jalousie des uns et la méchanceté des autres viennent pourrir le climat.
André Dominé, journaliste allemand
Avec mon confrère allemand André Dominé nous avons demandé au syndicat des vignerons du cru qui ne l’est pas encore tout à fait - jusque-là, le nom Montpeyroux était "toléré" sur les étiquettes - à ce que l’on organise, spécialement pour nous, une dégustation à l’aveugle de vins rouges arborant la mention "Montpeyroux". Tous étaient en bouteilles, donc conformes à ce que les consommateurs peuvent acheter et les 37 échantillons, exclusivement rouges, allaient du millésime 2009 à 1989, représentant ainsi 20 années de Montpeyroux. D’avance, merci à Jean-Luc Bonnin d’avoir organisé l’anonymat de la dégustation et à la coopérative "artisanale" du village d’avoir mis à notre disposition une salle climatisée pour maintenir les vins à la bonne température.
Désirée Fadat défend ardemment son cru en l'absence de son mari.
En dehors du Domaine d’Aupilhac (Sylvain et Désirée Fadat) qui proposait à mes yeux un peu trop de cuvées, chacune au meilleur de leur forme en dehors d’un 1989 quelque peu éteint, j’ai été parfois déçu par la rudesse des tannins et la rusticité de l’amertume. Pour en revenir à celui qui reste au sommet du cru, Sylvain Fadat, celui-ci m’a une fois de plus littéralement bluffé avec son 1995 (35 % de carignan et 30 % de cinsault) complet et frais, son « Cocalières » (40 % syrah, 30 % grenache et 30 % mourvèdre) complexe et animé, son rarissime 2000 « Le Clos » (très mourvèdre et carignan) et son joyeux « La Boda » (plutôt mourvèdre et syrah)…
Après Aupilhac, plusieurs vins m’ont impressionné. Les voici, et pour une fois dans l’ordre de préférence :
-Villa Dondona pour son caractère très marqué, sa complexité et sa densité (2008) ;
Jo Lynch et André Suquet de Villa Dondona
-La Jasse Castel, que l’on doit à la très dégourdie et rusée Pascale Rivière qui présentait son 2002 que je n’aimais guère il y a quelques années mais qui se révèle aujourd’hui structuré, frais et marqué par une belle finale sur le fruit ;
-Divem (Gil Morrot) pour son 2005 sur la finesse, riche, plein, superbe en finale… avec également un beau 2007 ;
-Alain Chabanon, pour son « Esprit de Font Caude » moitié mourvèdre, moitié syrah, joli nez, jolie finale, équilibré et prêt à boire ;
-Saint-Andrieu pour un 2002 « Marnes Bleues » assez dense quoique marqué par l’amertume ;
Didier et Christophe Crézégut de Puech Auger
-Puech Auger pour son 2008 fin, dense, soyeux d’excellent rapport qualité-prix ;
-L’Aiguelière pour sa « Côte Dorée » 2006, très syrah, fourrure et sous-bois qui ne demande qu’à vieillir;
-L’Hortgrand 2007 « fûts de chêne », un peu rustique certes et austère, mais réservé, plein de sève et long en bouche.
Christine Commeyras, aux portes de l'Aiguelière
Pour des raisons de lucidité bêtement pratique qui ne nous permettait pas d’en voir plus au risque de tituber, nous sommes allés visiter deux domaines qui nous étaient totalement inconnus. L’un d’eux, Puech Auger, http://www.puechauger-languedoc.com/ appartient à deux jeunes, Christophe et Didier Crézégut dont on reparlera à coup sûr s’ils savent garder la tête froide. J’ai goûté leur carignan en cuve et me suis autorisé de les inciter à sortir une bouteille dans le genre vin peu compliqué à boire entre potes. On verra. En attendant, avis aux amateurs, les gars sont aussi trufficulteurs !
L'ancien hôpital, siège de Villa Dondona, un havre de paix et de bon goût
L’autre domaine visité, Villa Dondona, mérite une bonne heure au moins. Jo Lynch est britannique et artiste (c’est elle qui réalise les étiquettes), tandis que son compagnon, ancien médecin à Gignac (beau marché le samedi) s’attache à faire revivre en lui la fibre occitane. Les vignes, au-dessus du quartier du Barry, le vieux Montpeyroux en quelque sorte, juste derrière l’église dans ce qui fut jadis l’hôpital, sont magnifiquement disposées sur des banquettes tournées vers le golfe du Lion, avec vue sur l’ensemble du Languedoc. Les propriétaires sont charmants et sont décidés à tendre vers de grands vins. Leur cuvée de Mourvèdre vaut le détour, leur Grenache aussi, sans oublier le Carignan dont je reparlerai un jour…
Autour de Montpeyroux, les promenades ne manquent pas, à commencer par Clermont-L’Hérault (huile d’olive), Saint-Guilhem-le-Désert et les gorges de l’Hérault. Les Fadat ont deux gîtes superbes qu’ils louent volontiers à la semaine pour des amateurs de vin. Sinon, je vous recommande à côté de Gignac, le mas Cambounet. Fabienne Perret, aidée de son homme, Jean-Charles, se dit cuisinière paysanne et cela lui va comme un gant. Dans son joli mas à 4 km de Gignac, entouré de vignes, d’oliviers, de cyprès, d’amandiers et de touffes de thym, elle n’a qu’un souci : faire plaisir à ses visiteurs qui viennent, sur réservation, goûter sa cuisine aussi légère et fraîche qu’ensoleillée. Cinq chambres d’hôtes. À partir de 75 € la nuit pour deux avec petit déjeuner. Repas : environ 25 € par tête, pain maison, vin et huile de la propriété inclus. Le bonheur !
Michel Smith