Ce samedi matin aux aurores, laissant derrière moi et la capitale, et les frileux qui pratiquent la dissuasion nucléaire pour mettre au pas les hurluberlus de mon espèce – à leur détriment sans doute car il me semble que le danger pour la presse écrite se niche à l’intérieur d’elle-même et non sur mon petit espace de liberté – je filais dans ma petite auto vers la belle ville de Beaune. Le soleil pointait le bout de son nez et je me sentais gai comme un pinson. Malheureusement, sur le plateau, changement radical: le crachin plombait le ciel. Il pluviotait lorsque je touchais au port: un splendide Formule 1 planté dans un champ de choux à la lisière de Beaune, à Montigny-les-Beaune, précisément. Cet hôtel, fleuron du groupe Accor, me proposait la seule chambre de libre dans le grand Beaune pour la modique somme de 37 euros petit déjeuner compris. Spartiate, douche et toilettes sur le palier, mais dotée de la wifi, la chambre 101 suffisait à mon bonheur de petit bloggeur. Mon impéritie trouvait là sa plus belle expression et, en dépit de la purée de pois, ma bonne humeur ne me quittait pas.
Contrairement à une idée reçue, le diable se niche rarement dans les détails si l’on veut bien les ramener à ce qu’ils sont. Dans une journée bien grise, l’éclaircie ornée d’un splendide arc-en-ciel a surgi alors qu’elle touchait à sa fin. Paradoxe que seul le vin peut dénouer: faire surgir la lumière en pleine nuit. Les dîners bourguignons sont tout sauf collet monté, il y règne une franche bonne humeur teintée de paillardise. Au Château Corton André, ce fut le cas avec une touche toute particulière d’humour décalé qui a ravi les convives venus de tous les coins de notre foutue planète. Comme je suis à la bourre, je vais me concentrer sur le clou de notre soirée : Corton-Bressandes Grand Cru 1949 sur un gâteau Le Fleur de Sel. Même si le gâteau était au chocolat, nous ne nous sommes pas levés pour Danette mais pour un grand jeune homme de 61 ans.
Dans le verre : lumineux, étincelant, empourpré, en ces instants on n’ose pas, et pourtant le senior s’extériorise, il affriole le nez, lui donne avec intensité une large carte de fragrances chaudes. Le temps est suspendu, la conversation s’est interrompue, bien plus qu’une communion ce sont les prémices, cet avant sensuel qui met, si je puis m’exprimer ainsi, en branle des sensations profondes, fortes, charnelles. C’est le temps des caresses, d’un parcours du pays de son corps, de ses origines, de ses racines, d’une jeunesse encore si présente. On sent le grain de peau, fin, souple, accueillant. Tout est possible, reste à consommer, à passer à l’acte. À l’attaque par petites touches, pas comme un soudard debout et pressé, non avec volupté. Quelle fraîcheur ! Ce gaillard est vif, plein d’allant, d’une jeunesse insolente. J’en suis presque jaloux mais, après tout, nous sommes lui et moi de la fin de ses années 40 si mal commencées mais qui surent finir sur de grandes et belles années. Notre jeunesse de cœur, nos esprits flamboyants, notre goût du bien vivre, nous confèrent une éternelle jeunesse.
Alors, même si vous me trouvez prétentieux, je me suis senti frère de lait de ce Corton-Bressandes Grand Cru 1949.
J’étais si heureux que j’en ai oublié de prendre la bouteille d’origine en photo. Pour les amateurs de précision : ce vin a été rebouché à raison de 7 bouteilles pour en obtenir 6. Il en reste une trentaine de flacons en cave. Mais chez moi tout arrive, grâce à l'efficacité de Sandrine : la voili, la voilà, la photo de mon Corton -Bressandes Grand Cru 1949. Merci à tous, le vin c'est le plaisir partagé et ce fut une superbe soirée...
Jacques Berthomeau