Les Brits, c’est connu, ont toujours été influents dans le vin. Chez nous, dans le Sud, ils se louent pour tailler la vigne, vendanger, décuver, vinifier, vendre… mais ils agissent de la même façon dans la vallée du Rhône, les Côtes Roannaises, le Blayais, le Bergeracois, en Provence et ailleurs où ils osent fouler la terre sacrée de nos vignes patrimoniales. Pire, ils s’incrustent, s’allient volontiers avec les autochtones et fondent foyers. Les sujets de leur Gracieuse (hum, pas si sûr…) Majesté ne se contentent plus d’être de plus en plus nombreux à acheter le vin à la propriété, à le boire sans retenue dans la restauration locale ou dans leurs résidences de vacances, voilà qu’ils veulent désormais « faire » le vin en achetant des vignes. Rien de nouveau, me direz-vous. Certes, mais le mouvement prend de l'ampleur au point qu'il est question que nos alliés d'outre-Manche fondent une association de vignerons britanniques. Oui, c'est bien ça, ils se « pinardisent » adonf et espèrent même faire un tabac at home en exportant les bouteilles jusque dans les rayons de la mère-patrie. Dernière en date à s’installer, vous vous en doutez vu mon titre, une certaine Miss Jones, prénommée Katie.
Miss Jones en vendanges dans ses vignes
En cherchant Miss Jones sur Internet, je tombe immanquablement sur des chanteuses qui tantôt susurrent, tantôt hurlent, et qui me sont de surcroît inconnues. Je tombe aussi sur un DVD assez explicite (orgies, ligotages, etc) intitulé « The New Devil in Miss Jones ». Heureusement, il y a aussi le disque de la géniale Rickie Lee Jones que je recommande au passage, et un clip poignant de kitsch pop d’Hélène Ségara chantant un Mrs Jones sans queue ni tête (si vous voulez vous infliger un supplice, c’est ici). Finalement, voilà la vraie Mrs (à défaut de Miss) Jones, celle des slows de mes 24 ans, l’unique tube de Billy Paul. Let's all sing ! Ce troublant Me and Mrs Jones, plus tard interprété par Marvin Gaye, a été superbement repris il y a 2 ans par l’excellent Michael Bublé. Regardez.
Miss Jones dans sa cave
Après cette longue mise en bouche musicale, rentrons dans le vif du sujet. J’ai rencontré l’autre jour Katie Jones, « Cathy », comme on dit ici. Elle est menue, possède un petit nez en trompette, un visage souriant et lumineux coiffé d’une touffe de cheveux d’un brun foncé tendance cuivre en léger désordre. Sympa, elle cause le Français presque comme vous et moi, et c’est dans un délicieux mélange franglais que nous nous sommes entretenus. Kate, je l’avais connue, il y a pas mal de temps alors qu’elle travaillait dans l’export pour les Vignerons du Mont Tauch (coopérative de Tuchan), une force non négligeable soit dit en passant dans le cru Fitou. Ayant quitté cette bande de chasseurs de sangliers, elle est restée dans le secteur et s’est soudain prise de passion pour la vigne. Elle a fait quelques kilomètres en direction du Canigou pour aller flirter avec la désormais fameuse vallée de l’Agly.
Sur son site tout en anglais, ICI, juste au-dessus de son portrait où elle nous gratifie de son sourire coquin, elle a joliment titré in French : « Je ne regrette rien ». C’est donc qu’elle n’a aucune intention de reculer. Katie, qui ne souhaite pas pour l’instant s’emmerder avec les règlements des nos chères appellations, a déclaré ses premiers vins en Vin de France. Mais pour bien marquer son ancrage régional - elle est arrivée chez nous il y a 20 ans - elle a ajouté a son petit royaume de Maury quelques rangs de vignes du côté de Paziols, son village d’adoption, d’où elle sortira, d’ici l’an prochain, un « Jones Fitou », lequel viendra s’ajouter au « Jones Blanc », au « Jones Rouge » et au « Jones Muscat ». Au début, elle s’est faite aider d’un ami Australien, David Morrison, qui conseille depuis 30 ans des vignerons du Sud, et jusqu’en Espagne. Les vinifications se font dans la cave de son compagnon, Jean-Marc Astruc, rue du Vatican, ainsi nommé parce qu’un gars de cette rue se faisait appeler jadis « le pape ». Sait-on jamais, un jour, les vins du coin seront peut-être aussi renommés que les crus « castelpapaux » du côté d’Avignon.
Chose impossible à expliquer, sauf à dire qu’il s’agit de grenache noir, notre grandissime cépage, je suis surtout intéressé par le rouge, même si le blanc (grenache gris et un peu de muscat) ne démérite pas, armé qu’il est d’un bel équilibre et d’un réel enthousiasme. Donc, le rouge : robe d’un joli pourpre soutenu, fraîcheur en bouche, du soyeux et de la finesse, rien de compliqué, boisé présent mais discret, on aimerait juste un peu plus d’épaisseur et de longueur, mais il s’agit là de pinaillages journalistiques, car ce rouge, je l’ai bu avec un réel plaisir. On pourrait aussi mettre en exergue son prix - 12 € - pour dire qu’il est un chouïa élevé. Peut-être, mais c’est oublier alors tout le travail derrière, cette vigne difficile, la plus haute de Maury, 2,7 ha de blocs de schistes, à flanc de colline, la vigne la plus proche des ruines de Quéribus, vigie Cathare entre Roussillon et Corbières qui attire de plus en plus les aventuriers de la vigne. J’allais oublier le muscat. Vinifié à partir de raisins passerillés, il est très agréable et se commercialise en demi bouteilles au prix de 10 €. Bravo Miss Jones ! Just carry on !
Michel Smith