Passé le 15 Août, la rentrée arrive à grande vitesse et avec elle son cortège d’actualité : les spéciaux vins qui ressassent les mêmes sujets (hormis quelques-uns bien sûr…), les foires aux vins qui remettent une fournée des mêmes grands crus notés Parker, RVF ou B & D, quand c’est pas les trois à la fois, et puis arrive la sortie tant attendue des guides…
Bon, de mon côté, pour ne rien vous cacher, je suis un peu blasé, vu que je vis en retrait, à Perpignan, c’est-à-dire proche du trou du cul de la France. Il n’empêche que, comme d’autres, j’appréhende cette rentrée qui s’annonce encore une fois telle une course sur les chapeaux de roue. C’est que ça prend une sacrée place les guides du vin. Pour ne rien arranger, allez donc les refourguer lorsqu’ils sont obsolètes ! Même mes amis, pourtant amateurs, repoussent à chaque fois ma généreuse offrande d’un geste dédaigneux. Je pourrais à la rigueur en faire des cartons et les porter à la décharge avec les vieux catalogues de La Redoute. Mais c’est trop lourd tout ça. Impossible de les jeter au risque de me sentir coupable de pollution. Les abandonner sur un blanc public ? Je l’ai osé. Peut-être ont-ils trouvé un second lectorat... Mais, franchement, un SDF aura-t-il le courage et la curiosité de les lire afin de rêver aux crus inaccessibles ? Résultat, je les collectionne et j’ai toute la série des guides Hachette depuis ses débuts. Si ça intéresse quelqu’un, je l’échange contre un bon magnum et surtout pas de cru classé !
Ce n’est pas que je ne les aime pas, mais… Disons que je les supporte, pas dans le sens supporter une équipe comme ils disent maintenant. Commençons par être positif, ou honnête. Ils sont objectivement plutôt bien faits les guides de vin (hormis l’un d’entre eux que j’oublie car l’on ne saurait être objectif à son endroit) et vendus à un prix raisonnable. Dans mon travail de tous les jours le guide Hachette, par exemple, véritable bible unique en son genre puisque devenue une référence mondiale, est utile pour retrouver un vigneron oublié, ou pour vérifier une adresse. C’est net et précis et j’aime que l’on y fasse un peu de place aux crus du Luxembourg ou de Suisse.
Le Guide Vert des Meilleurs Vins de France ne manque pas d’intérêt non plus. Mais je ne l’ai pas lu depuis la version 2008 qui trône encore dans ma bibliothèque de bureau… Quant à l’obèse, je veux dire l’épais, imposant et lourd Bettane & Desseauve, il porte bien son nom : « Le Grand Guide des Vins de France ». N’y voyez de ma part aucune prétention, mais ces pavés ne m’apprennent plus grand-chose si ce n’est qu’ils complètent la vision que j’ai d’un domaine ou qu’ils me font parfois découvrir un nom que j’ignorais. Je savais depuis plus de deux ans que Jérôme Malet (Domaine Sarda Malet) concoctait un « Marius » pour le marché US avec son copain d’enfance Frédéric Engerer, lui-même directeur d’un premier grand cru classé, mais j’ignorais que ce cabernet-sauvignon qualifié « d’ovni » fut disponible en France. J’espère qu’il l’est vraiment, même à 40 €, sinon je ne vois pas l’intérêt de lui consacrer une entrée. À moins que ce ne soit pour montrer aux confrères que l’on a été le premier sur le coup.
Assez jasé, revenons sur l’essence même des guides. Souvent, soyons juste, même si les textes ont tendance à se réduire en peau de chagrin, ils mettent l’accent sur quelque chose, un détail, que je n’avais pas remarqué jusque-là. Je les parcours donc plus que je ne les lis, ne serait-ce que pour voir s’ils n’ont pas maltraité un vigneron que j’adule de mon côté ou si, au contraire, ils encensent un type dont je déteste les vins. J’avoue aussi regarder de près comment est traitée – ou maltraitée – ma région d’adoption. Je m’irrite aussi parfois en me disant que je ne dois pas être assez bon dégustateur (ou journaliste ?) puisque je ne suis nullement sollicité par les rédactions de ces ouvrages collectifs. Je me console en me disant que c’est moi qui doit avoir raison : « Reste où tu es coco. Tu es bien trop sincère et trop attaché à la personnalité des vignerons pour te fourvoyer dans des analyses ou des prédictions… Et puis tes papiers sont toujours trop longs, pas assez percutants alors qu’il est de bon ton aujourd’hui de faire du zapping… » Ainsi, je reste à ma place : spectateur de l’édition bachique après, il est vrai, y avoir longuement collaboré, dans les années 90 pour feu le « Guide des Routes du Vin ». Blasé vous dis-je. Mais le consommateur, lui, a-t-il vraiment intérêt à acheter ces guides ? S'il est averti, franchement, je pense que non. Seulement voilà, on peut m'opposer les chiffres de vente comme démenti. Au fait, combien tirent-ils précisément ? Mystère...
De toute manière, depuis que je suis supposé être à la retraite et que je n’ai plus de collaborations régulières autres qu’annuelles, on ferme les grilles. Mais ne nous noyons pas dans les jérémiades : au moment où je ponds ce texte, je reçois le pavé B & D avec grand plaisir. Nouveau format, couverture souple très proche du consommateur, c’en est fini des textes aérés, mais ça se lit mieux. Dommage que l’on y accorde encore de la place au vignoble sudiste de Bernard Magrez qui aurait, je dis bien « aurait », été abandonné au moins dans sa partie Roussillon puisque Olivier Decelle (Mas Amiel) a publiquement affirmé qu’il avait racheté les vignes de Magrez autour de Maury. À moins que le « compositeur de grands vins » en ait acheté ailleurs… Je sais, ce n’est guère facile de coller à l’actualité. En restant scotché sur « ma » région, c’est amusant de constater que, pour des histoires d’échantillons non livrés et d’une mauvaise bouteille bue au restaurant, Gérard Gauby se retrouve si mal noté… alors que Marjorie Gallet (Roc des Anges) se voit quant à elle propulsée au même rang que les Gardiès, Parcé Frères, l’Abbé Rous et autre Hervé Bizeul. Côté Languedoc, Olivier Jullien, qui refusait à ses débuts toute starisation est quant à lui beaucoup mieux considéré que ses meilleurs compères Catalans. On remarque aussi l’ascension de Pech Redon (La Clape) et de Maxime Magnon (Corbières), alors que Pech Latt, remarquable Corbières depuis 30 ans, ne figure pas sur les tablettes. Le mythique domaine de La Grange des Pères subit le même sort que Gauby alors que d’autres étiquettes réputées (Alain Chabanon, Léon Barral, Terre Mégère, Clos Centeilles, Caraguilhes, Henry, Clos de l’Anhel…) se retrouvent médiocrement notés et sans l’ombre d’un « BD », soit l’équivalent d’une étoile. Comme quoi tous les goûts sont dans la nature. Bref, cela donnera certainement l’occasion au guide concurrent (Guide Vert de la RVF) de contredire tout cela cette année ou l’année d’après.
Reste que la sortie des guides du vin déclenche à chaque fois une véritable course médiatique. Le premier éditeur présent sur le bureau du journaliste prendra position sur un calendrier bachique parisien déjà complètement bourré (jeu de mot involontaire). Presto, prestissimo, on boucle le dossier de presse et vlan à la poste, en priant Saint-Vincent pour qu’il arrive avant tous les autres. Ah, j’oubliais : on glisse aussi parfois une invitation, histoire de bloquer la date et d’attirer les amateurs (de petits fours) au cocktail dînatoire de lancement. Spécialiste en la matière : le Guide Hachette. On se bousculera dans l’espoir de savourer une lampée de « coups de cœur » et de côtoyer un pipole de choc, le mercredi 1er Septembre au pavillon Dauphine à Paris. Plus discrète, ou moins riche, la Revue du Vin de France arrive bonne dernière dans la course aux communiqués en me proposant par courrier électronique deux dossiers de presse. Celui du Guide Vert, mettant en avant trois auteurs, Olivier Poussier en tête, suivi d’Antoine Gerbelle et Olivier Poels. Sans pouvoir feuilleter le guide, je suis heureux de noter que mon pronostic de hausse qualitative au Domaine Tempier a été couronné de trois étoiles bien méritées. On retrouve le sieur Gerbelle accompagné de son complice Maurange pour leur dixième édition de leur guide des « Meilleurs Vins à Petits Prix », à mon idée le seul guide vraiment utile pour le consommateur en ces temps de crises. Seul le Guide du Vin Gault-Millau ne s’est pas encore signalé. Il est vrai que la version 2010 est toujours en vente sur le site. Idem pour les Guide des Vins Bio du même magazine.
Honneur au vainqueur déjà en partie épluché plus haut – décidément, ce papier n’a ni queue ni tête -, c’est le tandem Bettane & Desseauve qui, à Perpignan du moins, est arrivé en tête. Avec un dossier de presse irréprochable sous forme d’une présentation alléchante, format niouze mag au titre choc, « Le duo mène l’enquête », où l’on voit sur fond chocolat nos deux rouletabilles en position dégustation, vêtus d’une tenue de circonstance s’il vous plaît, tablier noir du caviste chic siglé, chemise blanche impeccable, torse bombé pour l’un, regard malicieux pour l’autre, les deux dégainant un Riedel aux trois quarts rempli de rouge chez l’un et d’un vin doré chez l’autre. Le tout assorti de petites bulles gentilles résumant les qualités d’un «M. Incollable» (Michel, of course) et celles d’un «M. Inventif» (Thierry, naturally). Plus bas on apprend aussi que celui positionné à gauche (pas forcément de gauche) est perfectionniste et que celui de droite (l’est-il vraiment ?) est hédoniste. Me voilà rassuré. Le tout est amusant, original, léger. L’intérieur est consacré au palmarès : les plus belles progressions, les meilleurs vins de marque (why not?), l’homme de l’année (choisir Pierre Lurton plutôt qu’un brave et talentueux vigneron du Sud-Ouest permettra peut-être – la remarque est vache - de faire plaisir au milliardaire du luxe), l’appellation de l’année (tiens, mes chères Terrasses du Larzac, on s’encanaille…), le Top 15 à mettre en cave 10 ans (ou 20 ans), le top 20 des vins à moins de 6 €, les meilleurs bios, les meilleurs domaines dirigés par une femme (encore !). Puis la fiche technique avec « le nouveau look », à un prix « attractif » (24,90 €), etc. Bref, du tout en un. J’oubliais une pub pour le site maison, une autre annonçant de nouvelles publications, dont «Les Leçons de Dégustation» à paraître début octobre toujours aux Éditions de La Martinière.
Ouf ! Sur ce je vais m’ouvrir un Sarda Malet 2004, Terroir de Mailloles, bien sûr. Le 2005 est noté 16,5/20 dans le guide que je viens d’ouvrir, mais il n’a que deux «BD», ce qui est un scandale quand on sait la régularité et le classicisme du cru. Dans d’autres pages, les grands du Bordelais, de Bourgogne, de Champagne et même d’Alsace se pavanent avec des notes stratosphériques et des cinq «BD» triomphants. Rares sont les appellations oubliées. J’ai vérifié : Palette, Rosette, Bellet et Château Grillet ont droit de cité. En revanche, point de Marcillac, de Béarn et encore moins de Bourgogne Grand Ordinaire. On leur pardonnera ces légers oublis.
Reste une question à cent balles. À l’heure d’Internet où l’on trouve tout, même sur le plus obscur vigneron auvergnat, les guides du vin sont-ils encore utiles ? Si oui, lequel à vos faveurs ? J’aimerais enfin avoir votre avis sur cette épineuse question avant de pondre un jour mon propre guide. Provisoirement, il sera intitulé : «Le Petit Guide des Bons Vins Méprisés par la Critique». Il est vrai qu’avec un titre pareil il a peu de chances de trouver sa place sur un marché déjà saturé. C'est pourtant le genre d'ouvrage que j'attendrais en tant qu'amateur de vins. Belle rentrée à tous et surtout bonne lecture.
Michel Smith