Les revues papier glacé de gastronomie nous placent sous perfusion sur l'art et la manière d'accorder les mets et les vins. Fort bien et pourquoi pas, mais comme vous vous en doutez, vu mon caractère de cochon, j'adore les conseils ! Moi qui n'ai jamais confié le soin à quiconque de choisir mes chemises, de les repasser et de les accorder avec mes vestes, ça me met en joie. Ceci étant écrit, comme je suis sur une position ultra-minoritaire, et que je dois tenir compte des désidératas des clients, ce matin je mets un mouchoir sur mon élitisme hautain et je vais dans le sens du vent en commettant une chronique: que boire avec une platée de choux ?
Car, entre autres appellations désobligeantes subies dans ma jeunesse de vendéen du bas-bocage : péquenot, bouseux, plouc... la moins infâmante, la plus admissible était bien «ventre à choux» même si je j’exécrais la soupe de choux (le bouillon) qui, visuellement, s'apparentait pour moi à un jus proche de celui de la mare aux canards, et qui sur le plan gustatif, tenait du lavement ou de la décoction du style de celle que préconisaient les nombreux rebouteux du coin. Je faisais de la résistance. Je frisais le nez. Je tentais de me dérober au supplice mais dans ma bonne Vendée fallait obéir. Ma mémé Marie, sainte femme, égreneuse de rosaire, dont j’étais le chouchou, me servait une petite ration d’eau verte et fermait les yeux sur le fond de mon assiette.
Aussi bizarre que ça puisse vous paraître, si je détestais la soupe de choux, j’adorais les feuilles de choux embeurrés. Nos choux, c'étaient des choux à vaches, des choux fourragers hauts sur tige, ceux que nous allions couper avec le pépé Louis pour nourrir les bestiaux. Ce que nous mangions nous, c’étaient les petites feuilles du cœur, vert tendre et croquantes. Cette proximité avec nos ruminantes indolentes aux yeux aussi tendres que nos cœurs de choux: nos opulentes Normandes laitières, plus que nos Parthenaises laboureuses toutes efflanquées, nous assimilait à des quasi-sauvages tout juste bons à défier la République pour le compte du maître et du curé.
Aujourd’hui, j'adore toujours les choux, mais le problème c'est que sur nos étals parigots, c'est une denrée rare. Au marché, il est facile de trouver toute sorte de choux, pommés, fleurs ou italien, mais le mien est plus rare que le caviar. Lorsque j'en trouve, je fais une razzia de petites bottes de feuilles de choux tenues par un élastique. Tout l'art de la cuisson des choux est dans le blanchiment. Faut être patient ou patiente, se colleter un grand faitout et passer les feuilles dans au moins 3 ou 4 rincées d'eau bouillante. Après faut embeurrer le choux. Ce n’est pas aussi simple que ça paraît. En effet, tout d'abord il faut un vrai bon beurre salé. Dès que les feuilles de choux sont égouttées, comme pour les pâtes, il faut jeter les sur la noix de beurre qui est alors saisie et qui exhale ses aromes et sa pointe de sel.
Pour le boire c’est une autre histoire mais je voterais bien pour un petit vin de rien du tout, simplet, tout le contraire des vins hauts du collet comme ceux de nos amis qui couchent leurs commentaires et leurs notes sur papier glacé. Pour tout vous avouer un vin qui me rappellerait la piquette de mon pépé Louis, bien «appointuché» (du verbe appointir : rendre pointu), mais qui bénéficierait du génie de nos jeunes inventeurs de vin. Donc un vin avec de l’acidulé, de la jeunesse, de la fraîcheur et même une petite touche de pétulance. Bref, avec ce cahier des charges, est-il possible aux grands maîtres de la dégustance de satisfaire mes exigences? Telle est ma question du jour: comme un lundi quoi !