Si je lève le lièvre ce matin c’est que ces deux là n’en sont pas à leur premier mauvais coup. Pour ne rien vous cacher ce sont mêmes des stakhanovistes d’une forme de série noire vineuse qui, tel une pandémie grippale, une forme nouvelle du phylloxéra, ravagent les uns après les autres tous nos grands vignobles. Je ne vais pas vous infliger la litanie de tous leurs méfaits, plus d’une quinzaine, mais à titre illustratif, pour vous faire toucher du doigt la vigueur de ces tontons flingueurs : Vengeances Tardives en Alsace, Cauchemar dans la Côtes de Nuits, Coup de Tonnerre dans les Corbières, Le Dernier Coup de Jarnac.
Quand la fiction dépasse la réalité, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Comme vous l’avez, je l’espère, compris tous ces pétards mouillés sont l’œuvre de deux acolytes: Jean-Pierre Alaux et Noël Balen. Sans être trop mauvaise langue, je dois vous avouer qu’étant amateur de vrais polars, je trouve que l’imagination de nos écrivains à 4 mains s’épuise dès la déclinaison de leurs titres évocateurs. C’est l’exploitation d’un bon filon, comme certains peintres qui refont le même style de tableau et qui finissent par occuper les murs des salles d’attente des cabinets dentaires. Tant mieux pour eux puisqu’ils vendent leurs bouquins comme Monsieur Besnier vend des camemberts Président.
La collection chez Fayard est baptisée Le Sang de la Vigne, alors les assassins assassinent là où exerce un hybride de Michel Rolland et de Robert Parker : un certain Benjamin Cooker, œnologue anglais de souche, basé à Bordeaux aux allées de Tourny, amateur de Puros (normal, Alaux et Balen bossent pour l’Amateur de Cigares, ce qui leur permet de nous refiler des fiches techniques à bon compte). Cooker, qui bien évidemment se chausse, non chez André, mais chez Loeb, exerce son art pour des propriétaires aux mains blanches qui paient l’ISF.
Si vous aimez les tartines de «je sais tout sur le terroir, sur les propriétaires, sur les petits rien qui font savoir qu’on en est, qu’on dîne chez la baronne ou le baron ou le dernier qui vient de placer son pognon dans le vignoble, qu’on ragote dans les salons très prout-prout ma chère...» vous serez ravis et ça vous permettra de briller dans les dîners en ville. Ils l’étalent tellement leur culture du vin que par moment on en oublie le ou la trucidée pour se dire tient ce n’est pas con j’irais bien comme Cooker dîner au château de Gilly pour me taper des gorgeons du Clos de la Perrière.
Morceaux choisis : «Pourtant, quand il avait passé avec succès son diplôme d’œnologue à la Faculté de Bordeaux, il avait bien appris du professeur Ducheyron que ces arômes de noix, caractéristiques de certaines Eaux-de-vie ou de vieux vouvray, résultaient de la présence d’acétaldéhyde. Dans les armagnacs, la persistance de cette odeur était liée à la combinaison du stolon avec les cétones...».
«Le temps pressait. Outre un effet de botrytisation imminent, on n’était pas à l’abri d’une attaque d’alternaria, de penicillium ou de rhizopus, ces champignons de malheur qui pourrissent en deux jours le raisin.»
«Chez Cooker, elle se défiait moins de son savoir que de sa perspicacité à trouver la parade contre le mildiou, l’oïdium, le black-rot ou la pourriture du collet, ces maladies cryptogamiques ou bactériennes, ennemies jurés des vignerons bourguignons. Si la bouillie bordelaise, là comme ailleurs, avait fait ses preuves, force était de constater que Cooker n’avait pas son pareil dans l’art des assemblages et, plus encore, dans la capacité à extraire la quintessence d’un chardonnay, d’un aligoté, d’un gamay, d’un sauvignon ou d’un pinot noir, cépage roi de Bourgogne qui n’exprimait jamais mieux ses vertus que par une rigoureuse maîtrise des rendements.»
C’est t’y pas beau ça! Mais à propos pourquoi diable en suis-je venu sur le terrain des justiciers? Tout bêtement parce que notre Cooker, non content d’exercer ses talents œnologiques se substitue, tel un Hercule Poirot moderne, à notre pauvre police française pour confondre les criminels. J’ai donc commis cette chronique pour de rire, plutôt que de se prendre la tête. Je signale à Jim Budd que Benjamin Cooker n’est pas membre de l’Union Nationale des Œnologues de France; donc il peut tout se permettre. Bref, à chacun son job, je préfère les flics vérolés du LAPD de James Ellroy à ce snob de Cooker. Reste qu’il faut que je trouve une chute à cette chronique pour ne pas me faire coincer par la patrouille des journalistes d’investigation.
Mon seul recours : Pierre Desproges. Citant l’ouvrage «Soignez-vous par le Vin» du Docteur E.A Maury (un nom prédestiné) dans l’émission culte de Michel Polac «Les Vignes du Seigneur», celui-ci indique que pour soigner la neurasthénie, le seul remède est la Blanquette de Limoux : 2 verres au petit déjeuner, 2 verres au déjeuner, 6 au dîner. Voilà une «positive attitude» chers collègues ! Du Mauzac plutôt que du Prozac ça c’est de la bonne vieille réclame!
Jacques Berthomeau