Avez-vous entendu parler du Mas Gabinèle ? Oui, si vous avez lu une de mes interventions (ICI) concernant Faugères cet été. Gabinèle, c’est une sorte de petit cabanon de vigneron en langue d’Oc. Mais c’est surtout le domaine familial d’un gars étonnant. Diplômé de sciences économiques, Thierry Rodriguez s’est constitué autour d’une chapelle romane, près de laquelle il a ouvert un gîte, une modeste affaire de négoce du nom de Prieuré Saint-Sever qui commercialise aux dernières nouvelles plus de 400.000 flacons dans 20 pays.
C’est mon ami l’œnologue Jean Natoli, qui fait un immense travail en conseillant d’excellents vignerons Languedociens dans un climat plutôt délétère, qui, lors d’une dégustation aveugle à Vinisud il y a plus de deux ans, m’avait glissé ces perles auxquelles il avait collaboré. Fleuron de la gamme, la collection « Stratagème » regroupe une douzaine de sites géologiques sudistes vinifiés en association avec des vignerons. Marqué par un nez de feu, je me souviens d’un rouge 2007 provenant d’un terroir de basalte qui me sautait à la gueule avant de se conduire en souplesse. Minéral, soyeux, le rouge du poudingue (vers Lunel) impressionnait par sa longueur et ses notes de coing confit. Ne pas manquer non plus les marnes jaunes d’Aniane.
Visiblement, Thierry Rodriguez aime les expériences. Il aime aussi le Carignan et il ne crache pas non plus sur le Cinsault ou le Grenache. L’autre jour, il m’a gentiment adressé une mini verticale de trois flacons pour me présenter son Vin de Pays de l’Hérault Carignan Vieilles Vignes qu’il réalise (2006, 2007, 2008) en partant de vignes de 50 ans et plus plantées sur son domaine du Faugèrois. « L’idée étant, me dit-il, de montrer ce que ce cépage pouvait donner en cherchant à préserver le fruit par un élevage court après avoir associé une macération carbonique (70 %) à une vinification traditionnelle (30 %) ».
Première remarque : la qualité du bouchon, un liège long et ferme (pas de plaisanteries SVP) est plutôt rare pour ce genre de vin. L’habillage et la taille des bouteilles, même si on n’est pas d’accord, montre aussi que Thierry ne méprise pas le sieur Carignan.
Incontestablement, le 2008 est de loin le plus intéressant de la trilogie. Robe soutenue, nez profond, jus frais, notes fruitées et minérales, tannins bien posés et sans excès, équilibre et longueur, notes d’orange sanguine en finale. Mais pour les plus délicats d’entre nous, il manque un soupçon d’élégance supplémentaire (le vin est pourtant très beau, rappelons-le) dont on sait que le carignan est capable si on y met du sien. Cela vient-il du tri des grappes, de leur vendange, de la vinification, de l’élevage ? Au vigneron de voir, même si j’ai ma petite idée derrière chacune de ces interventions.
Le 2007, notes de viscères et de garrigue au nez, est au départ plein de goûts gênants, marqué pas des tannins durs, comme enveloppé dans une poche de rusticité avec une finale un peudifficile. Mais on s’y fait… en se forçant un peu, surtout si on a un gibier bien faisandé à portée de la main ou un bon cassoulet.
Le 2006 est le moins sympathique des trois, trop rustique à mon goût, très « vin du pépé », puissant et direct comme un carignan sait l’être, mais aussi sec, déséquilibré et terreux en finale. Cependant, on doit pouvoir attendre de lui qu’il se conduise honorablement sur un confit de canard.
Le prix public de chaque bouteille est de 8,50 € départ cave, ce qui est très raisonnable compte tenu de la présentation. Si Thierry Rodriguez n’est pas d’accord avec mon jugement ou s’il veut apporter des précisions quant à la vendange ou à l’élevage, il est le bienvenu !
Michel Smith