C'est quoi au juste une fête autour du vin ?
Un orchestre de bénévoles qui soufflent dans des cuivres fatigués et qui tambourinent à tout va, des gens de bonne humeur qui déambulent le verre à la main, des enfants qui courent joyeux, des vieux qui éclusent leurs souvenirs, des sourires échangés, des marchands d’amandes et d’huile d’olive du pays, un restaurant qui reste ouvert un jour de fête chômée…. Une fête du vin, c'est que du bonheur !
Je rentre tout juste de la joyeuse fête du vin à Calce, fête baptisée « Les Caves se rebiffent », la cinquième du nom et un monde fou. Monter à Calce est un peu comme s'extraire du stress de la ville : sur la place, au pied de l’horloge, je retrouve les charmes du vieux village où tout le monde s’interpelle. Merci au maire, Paul Schramm, ancien prof de l’école hôtelière de Perpignan, défenseur ardent des vignes patrimoniales, de s’occuper avec autant de ferveur de la préservation de l’âme de ce village vigneron dont la notoriété ne cesse de croître.
À ce stade, quelques questions et réponses s’imposent …
-Primo : C’est où Calce ? Au bout du monde et tout de même assez proche de Perpignan, à 20 km environ. Faut passer par l’aéroport, Peyrestortes, puis par Baixas (prononcez « bachas ») ou alors, via Saint-Estève.
-Deuxio : Pourquoi Calce ? Because « Calcinaires », la cuvée « ordinaire » de Gauby, prénom Gérard. On y va parce que c’est lui qui a mis le nom de Calce sur la carte vigneronne du Roussillon. On y va parce que Calce veut dire calcaire et que ce dernier par endroits affleure le sol. Mais comme le territoire de Calce est assez vaste, on y va aussi pour sa diversité d’expositions, de terroirs, ses zones de schistes, ses poches de microclimats souvent froids puisque c’est de là que vient la « Petite Sibérie, » cuvée mythique d’Hervé Bizeul.
-Tertio : Et le Carignan dans tout ça ? Eh bien, dans ces terres essentiellement argilo calcaires où terrasses et coteaux tutoient la garrigue, le Carignan est en son royaume. Il est présent dans quasiment tous les vins rouges et compose parfois l’essentiel d’une cuvée.
C’est le cas de ce «Pilou», cuvée cent pou cent Carignan de Calce. Son auteur, Olivier Pithon, sieur d’Anjou, va bientôt fêter ses dix ans d’installation sur le territoire de cette commune. Hormis son grand frère, Jo du Layon, mis à part son entrée à Calce via la cave de Gérard Gauby, son mentor en matière de vin, c’est Stéphane Derenoncourt, l’autodidacte vinificateur de Saint-Émilion qui lui a fait comprendre qu’amour et plaisir font partie intégrante de la vie vigneronne.
Franchement, Olivier ne fait pas partie de la secte des grands bavards, et c’est tant mieux ainsi. Car on se prend à penser que plus on le fréquente, plus il vous jauge à petites doses, et mieux il vous laissera pénétrer l’univers de ses vins. J’aime quand le personnage est mystérieux et que l’on prend du temps à aller à sa rencontre.
Sur son site (ICI), le gars se souvient de son premier jour passé dans ses vignes de Calce, en compagnie d’un Carignan planté en 1940 par un dénommé Saturne. Peut-être le plus beau jour de sa vie. Aujourd’hui, on peut rencontrer ce vigneron sensible arpentant barbe au vent son vignoble bio en épandant ses tisanes de prêle ou d’ortie. J’ai découvert ses vins en 2004 à l’occasion de la première édition des « Caves se Rebiffent » et, après en avoir fait une sorte de coup de cœur dans le hors série vins de Cuisine & Vins de France du même millésime, je redécouvre avec bonheur sa production.
«Pilou» 2007 est un réel bonheur car il met en vedette des carignans - certains centenaires - plantés sur schistes et sur calcaires. On sent qu’Olivier vénère ces vieux ceps et le jus qu’il en tire. L’élevage, plusieurs mois en demi-muids, est des plus soignés. Il en résulte un 2007 tout en profondeur et en complexité qu’il convient de boire à température cave, 14 ° maximum. On pourrait alors le croire réservé, mais il n’en est rien, bien au contraire puisque, au bout de 5 minutes dans le verre, le vin jubile avec grâce dans le palais offrant toute la palette de parfums sauvages rencontrés lors de flâneries sur les sentiers vignerons de Calce. Certes, le flacon n’est pas donné, mais il est rare. Et tellement beau que l’on est prêt, en se cotisant à plusieurs fondus carignanisés, à supplier le vigneron pour qu’il nous en mette quelques magnums de côté. Que ne ferait-on pas pour l’amour du vin ?
Michel Smith