Les Autres… Avec un A majuscule, if you please.
En voilà un joli nom pour une carignanesque cuvée. Celle-ci émane une fois de plus des Corbières, mais comme le cru local n’a pas jugé bon d’accorder au Carignan la part belle qui, selon moi, lui revient au sein de son appellation, ce corbières-là ne peut se prévaloir du nom Corbières. En conséquence de quoi, il se nomme Vin de Table («Entre nous, c’est le "vin de verre", plaisante Sophie», son "auteure") et, elle a raison, c’est bien mieux ainsi.
Car, au final, n’est-ce pas, c’est le nom sur l’étiquette qui compte le plus. On baptise un vin un peu comme on baptise un enfant. Alors «Les Autres…» ? C’est presque comme un titre d’ouvrage, une fresque romanesque, qui ouvrirait grandes les pages de l’aventure et de l’amitié. Un remerciement franc et fort bien illustré à tous les amis et membres de la famille qui, chaque année, donnent un coup de mains à ces vignerons de cœur qui s’accrochent, vaille que vaille, à la garrigue. Les Autres font cela à leur manière, avec leurs moyens, d’une façon ou d’une autre, soit en assurant le casse-croûte, soit en lavant les seaux, en usant des ciseaux ou en propageant la bonne nouvelle de la naissance du vin.
L’œuvre, quant à elle, est surtout celle de Sophie Guiraudon. Œnologue sensible, elle raconte avec justesse et humour (un soupçon d’amour aussi) sur son site les raisons qui l’ont poussée un beau jour à venir s’implanter du côté de l’abbaye de Lagrasse avec son amoureux, Philippe Mathias, qui, de son côté, manage avec brio Pech Latt, le plus vieux domaine bio des Corbières. Une fois de plus, cette rubrique me permet donc de vous présenter deux beaux vignerons, un couple complètement impliqué dans ce sacerdoce qu’implique la vigne du modeste, celle que l’on a oublié, celle qui se meurt, mais qui vous livre un message chaque année, un message qui vous chante un air du genre «Hep ! Toi, restes encore un peu pour t’occuper de moi. Ne m’abandonnes pas, ne vas pas voir ailleurs. Promis, l’an prochain je te donnerai le meilleur de moi-même».
Comme souvent avec le carignan bien mûr, l’attaque est ici rondouillarde. Puis le vin s’impose naturellement par son allure, son gras et sa puissance. Il se dessine vite par une sorte de raffermissement en milieu de bouche. On finit sur une note de jus de grenade et de cerise noire, le tout dans des tonalités de fraîcheur. Dans ce cas précis, il y a même un soupçon de «tannicité» (ne pas confondre avec la ténacité du vin…) qui laisse envisager un mariage facile avec une viande saignante. J’opte pour cette option : une belle grillade, aux sarments de vigne, de préférence (ici, avec les arrachages, on n’en manque pas), genre côte de bœuf à l’échalote (crue, par pitié !) accompagnée de pommes de terre cuites dans la cendre. Pour plus d’infos : www.anhel.fr
... et pour accompagner le vin en musique :
Michel Smith