Plantons le décor : Saint-Mont est un village presque quelconque à la démographie légèrement déclinante dans une souriante campagne du Sud-Ouest, canton de Riscle, en plein pays de l’Armagnac, le Bas, plus précisément, à quelques virages d’Aire-sur-l’Adour, aux confins des Pyrénées-Atlantiques, du Gers et des Landes, le tout, grosso-mierdo, entre Mont-de-Marsan et Pau. Ouf ! Ici, on porte le béret, l'authentique, celui du Béarn tout proche que le monde entier croit être basque. Ici, on trouve encore de vraies fermes. Ici, marchés et boutiques regorgent de confits, de chapons, de palombes, de garbures, de haricots tarbais, de gâteaux basques, de croustades, de « pignardises » (les pignons des pins font d’excellentes pâtisseries...), de pastis qui n’a rien de Marseille, de tourtières dites landaises, de porcs noirs dits gascons, de jambons dits de Bayonne, de saumons dits du gave, de piments dits d’Espelette… J’allais oublier les fromages de brebis, les cèpes, les girolles… que sais-je encore. Ce pays de cocagne où l’on fait encore « honneur à nos élus » en dressant un grand mas cocardier devant leur maison, ce territoire de rebelles vivant dans des bastides est aussi un pays de cures : Eugénie-les-Bains est proche, et l’on sent déjà le fumet des croustillantes crêpes Suzette de Michel Guérard. Terrains de golf en veux-tu en voilà, aérodrome de campagne, festivals de jazz, courses landaises en pagaille, pelote basque, jeux de quilles, rugby, circuit automobile (à Nogaro)… Ici, il est interdit de s’ennuyer.
Les vignes du monastère vinifiiés par la cave de Saint-Mont, la vierge qui veille sur le village et l'entrée du monastère de Saint-Mont...
Dans ce pays d’eaux-de-vie, on ne manque de rien. Pas même de Madiran ou de Tursan. En prime, on a les Pacherenc-du-Vic-Bilh secs ou moelleux, à moins que l’on de préfère les grands Jurançon plus au sud. Ne pas oublier les Côtes de Gascogne et les Saint-Mont. Tiens, Saint-Mont, justement, nous y voilà, juste au détour d’un bois. Installé au sommet de ce maigre village qui tente de se refaire une beauté, ma chambre est vaste et confortable. Elle n’a rien de la cellule de moine que j’escomptais en arrivant dans cette vaste demeure restaurée à grands frais puis reprise par une journaliste de la télé, Françoise Laborde, et son compagnon de producteur. On passe la statue de la Vierge et l’on contourne l’église pour se garer à l’ombre des hauts murs et des grands arbres. Panoramas sur la campagne lumineuse, les rangées de vignes, les champs de maïs, les tournesols et les sommets Pyrénéens. On s’enfonce dans un sommeil profond.
Au marché d'Aire-sur-L'Adour, légumes à profusion et volailles fermières d'exception...
Je suis passé par là cet été. À la fois pour me distraire (Jazz in Marciac), pour soigner ma déprime estivale au fil de l’Adour et pour visiter l’institution locale que je connaissais trop mal à mon goût en dépit des nombreux vins goûtés, avalés puis pissés au cours d’une trop courte carrière de dégustateur-cracheur de pinards. Je le répète, je ne suis spécialiste en vins que par accident et, vous l’avez peut-être compris si vous me faîtes l’honneur de me suivre, je n’aime guère les vins grands seigneurs, ceux qui pètent plus haut que leurs culs. En revanche, j’en pince pas mal pour les petits, les sans grades, ceux que l’on boit sans trop se soucier d’une hypothétique démarche sinueuse et intellectuelle. Peut-être est-ce de la paresse… Quoiqu’il en soit, le lendemain, je passe donc la matinée en compagnie du chef en personne. Rendez-vous à 7 heures tapantes au bas du village avec le directeur des Producteurs Plaimont dont le siège est à Saint-Mont, mais qui regroupe plusieurs caves du pays, celles d’Aignan, de Plaisance et de Crouseilles en particulier. Jean-Pierre Grange, que tout le monde appelle Jeannot, natif de la Vallée d’Ossau, fils d’un père ébéniste qui était aussi le sonneur de son village, a décidé de me conduire au marché du samedi à Aire-sur-l’Adour où il réside non loin de l’aérodrome et des hangars où furent construits les Fouga Magister. J'ai, bien sûr, accepté.
Séance de découpe de saucisson bien sec sur le comptoir du PMU, visite rapide à Madeleine Cadillon, la marchande de volailles, passage express devant les légumes bio de Marie, du Lot-et-Garonne, qui s’est levée à 4 heures du matin pour être présente sous la halle, achat d’un fromage de brebis, Jeannot a juste le temps de me raconter sa recette d’omelette pascale avant d’arriver sur l’immense parking de la cave de Saint-Mont où il me jettera entre les griffes de la belle Morgane Perrot, responsable du caveau (Dieu que ce mot m’irrite..) laquelle me laissera plus tard goûter à ma guise sans oublier de me vanter le « compte fidélité » valable sans limite de temps avec à la clef, au bout de 3.000 points (un point = un euro dépensé), un magnifique balthazar (12 litres) de Saint-Mont.
Je connais beaucoup de ces vins que je goûte chaque année pour la préparation de mes « spéciaux vins » qui exigent de ma part pas mal de séances de dégustation. Mais avant de regoûter (pour entretenir ma forme) quelques vins, j’ai eu droit, sous la conduite de Jeannot, à une visite en règle du site principal (Saint-Mont) laissant pour une autre occasion les quatre autres sites de pressurage et d’élevage. Saint-Mont est donc un site important puisque, en dehors de l’élaboration des vins, ont met en bouteilles tous les vins dont les 4 millions de bouteilles de Colombelle, un gentil petit blanc d’apéro, sur un total de 10 millions de flacons bouchés vis dans une production qui dépasse 38 millions de cols (55 % vont à l’exportation), dont 15 millions de vins d’AOC. Je vous assure que j’ai rarement vu un chai de vinification aussi rutilant et moderne. De quoi faire hurler tous les tenants actuels du retour en arrière, tous les chantres du « il faut que le vin se fasse tout seul ». Derniers chiffres : plus de 4 millions de bouteilles sont vendues en direct via 7 boutiques en Armagnac, ce qui représente un peu plus de 10 % du total des ventes en CA.
Jean-Pierre Grange et l'équipe de garde au caveau...
Il y a bien d’autres choses à raconter, les tribulations du groupe en Chine, la logistique qui est sous traitée, le bail de fermage instauré avec certains viticulteurs, que sais-je encore. Tout contribue ici à maintenir en activité les animateurs de la vie locale. À commencer par les viticulteurs eux-mêmes qui sont payés selon une charte qualitative très sévère correspondant à trois critères d’apports : le traditionnel, base même de ce qui est requis par les textes syndicaux, le « haut de gamme » (le plus strict) et le « grand vin » pour quelques happy few qui acceptent de prendre plus de risques que les autres. C'est simple et efficace.
J’entre donc dans l’une de ces boutiques, celle de Saint-Mont, qui font la fierté de Plaimont. Et Jean-Pierre me laisse entre les mains de Morgane. Il y a là un viticulteur, béret et tablier, qui joue le rôle du caviste. C’est la règle ici, tout le monde est impliqué, chaque coopérateur doit donner de son temps pour que l’affaire commune fonctionne au mieux. Leurs récompenses : de nombreux déplacements en France comme à l’étranger pour représenter leurs vins. Une véritable équipe de rugby ! Et je vous jure que ça marche. Et je vous jure aussi que bien des caves (et des vignerons) en France pourraient venir ici prendre une leçon de management et d’énergie positive au lieu de se lamenter.
Morgane est fière des rosés de Saint-Mont
Je vous livre ci-bas quelques impressions sur les vins les mieux notés selon leur ordre de présentation. Grâce vous sera faite des Pacherenc-du-Vic-Bilh, ce sera pour une autre occasion. Tous les prix que je donne sont TTC départ cave.
-Superbe « Expression » 2007 de Château Saint-Go (ex Côtes de Saint-Mont et Saint Mont tout court depuis le millésime 2008) fait de gros manseng, arrufiac et petit courbu. Très original, notes de miel et d’agrumes, dense, serré, structuré et long. 6,20 €.
-Saint-Mont 2009 « En la Tradition » rosé élégant au nez comme en bouche, long et savoureux pour seulement 3,50 €.
-Fraîcheur exquise dans cet autre rosé Saint-Mont 2009 « Les Vignes Retrouvées », large, tendre, persistant jusqu’à une finale langoureuse. 6,30 €.
-Vin de Pays des Côtes de Gascogne 2008 de cépages merlot et tannat « Rive Haute » charnu, gentiment tannique, notes d’épices, facile et très agréable à boire grâce à un petit fruit rouge qui accompagne jusqu’en finale. Bonne longueur. Capsule vis, 3,95 €.
-Excellent Saint-Mont 2008 rouge « En la Tradition », structure fraîche,, tannins un poil verts mais supportables, petite longueur, idéal pour une grillade de campagne. Tannat à 70 %, puis pinenc, cabernet sauvignon et cabernet franc. 3,50 €.
-Saint-Mont 2008 « Béret Noir » bâti à peu près sur le même encépagement, charnu, vif comme une ligne d’avants, puis souple avec ce qu’il faut en tannins poivrés pour une autre grillade un peu plus chic. 5,90 €.
-Le Saint-Mont 2008 « L’Empreinte » surprend par son joli nez boisé-épicé. Volontaire en bouche, dense, assez boisé mais reposant sur une belle matière, bonne longueur et finale sur des tannins fondus. 10,80 €.
-Côtes de Saint-Mont 2006 Château de Sabazan : frais, enjoué, délicieux avec une finale sur des tannins distingués. 12,75 €.
-Côtes de Saint-Mont 2006 « Monastère de Saint-Mont » (là où j’ai dormi…) bien sur la fraîcheur, plein, charnu, corsé (notes de café), grande longueur. 14,65 €.
-Madiran 2008 « Maestria ». Puissant mais équilibré, dense, tannins bien présents mais civilisés et fondus, joli boisé, bonne longueur. 6,50 €.
Michel Smith