Je crois avoir déjà affirmé et affiché à maintes reprises ici même ma passion sincère et inébranlable pour le Beaujolais. Et c’est dans cet esprit d’aficionado pur et dur que je me suis rendu l’autre lundi, jour de Fête de la Musique, jusqu’à Paris à l’invitation des instances officielles (Inter Beaujolais) de cet autre fleuve Lyonnais, le troisième selon Léon Daudet, un homme que je ne porte pas en mon cœur, mais ça c’est une autre histoire. D’emblée, je regrettais de ne point voir dans cette assemblée aux faux airs de symposium le docte nez de notre maître, Jacques Berthomeau. Mais peut-être bronzait-il à la terrasse d’un café de village du Luberon…
Le carnet de dégustation annonce la couleur...
On me pardonnera à ce stade une légère digression. Cela concerne l’amateurisme ou la légèreté désormais habituelle dans ce genre de manifestation qui consiste à ne servir que des vins tièdes alors que la logique d’une bonne logistique, justement, suppose que l’on mette à la disposition du vin un simple rafraîchissoir composé de beaucoup d’eau et de quelques glaçons. C’est visiblement trop demandé et trop ruineux quand on a les moyens de réserver le service d’un grand hôtel de la rue de Rivoli. Mais je ne vais pas me lancer ici dans un énième plaidoyer pour le vin frais…
Passé ce moment d’incrédulité et de manque de réaction de la sommellerie, si tant est qu’elle existe encore, j’ai entrepris de visiter une par une les tables qui s’offraient au visiteur. Elles proposaient 4 à 6 vins censés montrer la grandeur beaujolaise dans un non moins grand millésime. D’où l’intitulé de la manifestation : « Fabuleux Beaujolais 2009 ». À ce petit jeu, je n’étais pas le seul : en loyal Zinzin, le sieur Egmont Labadie (http://zinzinsduzinc.over-blog.com) m’a semblé aussi actif que je l’étais. Et c’est peu dire ! Chaque table représentant un cru, elles étaient donc 10, plutôt 12 s’i l’on ajoute les tables Beaujolais et Beaujolais Villages. En conséquence, pas mal de pain sur la planche.
Un magnifique bouquet de pivoines sur chaque table
N’en déplaise aux jaloux et mauvais coucheurs, j’attaquais par un excellent Brouilly de Georges Duboeuf dont j’allais apprécier aussi le Villages, ample, structuré et long tout en rejetant son Régnié (trop simple et léger), son Moulin à Vent (mauvais bois) et, dans une moindre mesure son Beaujolais qui, en dépit de sa franchise, brillait tout de même par l’éclat de son fruit. Pour en revenir à Brouilly, même si vous n’en avez rien à foutre, je vous livre mon préféré : celui de Jean Baronnat, à Gleizé, auteur d’un vin dense, structuré, complet et long.
Passons à la table Chénas – le désordre est volontaire, car c’est mon cru préféré ! – et retenons le Château des Jacques au nez floral et à l’élégance altière et persistante. Il surpasse d’un poil le « Quartz » de Dominique Piron et la « Hante » de l’Alliance des Vignerons. Arrive Chiroubles avec une belle fraîcheur affichée par le Domaine des Marrans (Belleville), une franche longueur et fraîcheur côté négoce chez Henry Fessy et de superbes tannins fruités/poivrés chez Patrick Bouland (Villié-Morgon).
Côte de Brouilly ne manque pas de vedettes, mais, en dehors des Maisons Neuves d’Emmanuel Jambon (Saint-Lager), nez fin, solide en bouche, belle acidité, longueur et fruit en finale, je préfère filer sur Fleurie avec un Henry Fessy souple mais structuré, poivré et long. Important cette notion de structure trop souvent négligée au profit du gras et de la lourdeur. Le Château de Fleurie, quant à lui, se distingue par sa matière, son équilibre et son élégance. Intéressante prestation de Coudert-Appert, sans plus, et je retrouve un autre de mes crus préférés, à cause du Canard, j’ai nommé le Juliénas.
Belle occasion de signaler le renouveau de la maison Ferraud (Belleville) à la fois négociant et propriétaire, comme ici avec ce Juliénas « Les Ravinets » au joli nez de bois brûlé, à la bouche prenante, vive, équilibrée et longue. Un peu plus fort cependant, Mommessin se distingue avec ses « Burlats », vin dense, serré, puissant, rocailleux, très cerise (burlat, of course) capable et devant, à mon sens, vieillir. Dernier vin intéressant dans cette appellation, le Clos de Haute Combe de Vincent Audras, tannins serrés et grillés, lui aussi fruité et capable de résister à 10 années de garde.
David Cobbold retrouve ses amies du Beaujolais
Morgon arrive avec le Château du Chatelard, cuvée « Les Roches », sérieux au possible, bien balancé, très joliment fruité et long. Le Morgon de Marcel Lapierre apparaissait plus simple, bien que sympathique. J’arrive côté Moulin à Vent avec une « Cuvée des Hospices » (Romanèches-Thorins) de Collin Bourrisset, peut-être le vin le plus net, le plus clair de la dégustation : fermeté en attaque, mais superbe finesse et longueur. Autre découverte morgonnaise : Gérard Charvet à Chénas, toujours surprenant côté matière et finesse. Déçu par le Château des Jacques, austère, violent et trop boisé.
La belle Lydie et son Régnié
Arrivé à Régnié (jadis aussi Durette), je fus séduit par le Château de La Terrière (Ciercé) au fruité frais, mais également par le Domaine Thierry Robin, certes souple en attaque, mais bigrement fruité, intense et long. Également un beau vin à la table de Lydie Nesme, la sémillante directrice des Hospices de Beaujeu qui livre un vin fin, ample et marqué par de beaux tannins. À Saint-Amour, j’ai retenu un intéressant « Albert Bichot » d’’Albéric Bichot (Beaune) et surtout un beau vin frais et très violette de chez Louis Max (Nuits-Saint-Georges). Mais la plus belle cuvée dans ce cru est peut-être celle du Domaine des Billards (Pontanevaux), un vin dense, épais, tannique et long, à la garde assurée.
Le joyeux Bettane n'a qu'une hâte : discourir sur le Beaujolais
Le problème de la température du vin commençait à être pris en compte par certains producteurs jusqu’ici discrets – le Beaujolais d’Henry Fessy, par exemple, révélait enfin son aspect joyeux -, lorsque démarra sur les chapeaux de roues une conférence animée par Michel Bettane. Ce dernier, non content de posséder une maison dans la partie nord du Beaujolais, est de plus en plus mis en avant comme étant le chantre d’un vin qu’il connaît et qu’il boit volontiers.
Parmi les groupies de Michel Bettane, ces jambes ne sont pas celles d'un Morgon...
J’avoue avoir apprécié ce moment où, tandis qu’il nous expliquait « son » Beaujolais (entre parenthèse, il m’a semblé déceler qu’il n’était pas contre une étiquette « Bourgogne Beaujolais » ou « Bourgogne Gamay »), mon œil était fixé sur une paire de fort belles jambes… Les questions fusèrent sur le fait de savoir si oui ou non le Beaujolais pouvait s’offrir une nationalité bourguignonne. Il semblerait que oui, du moins telle fut mon interprétation. Historiquement, les grands négociants de la Côte d’Or ont toujours eu un pied en Beaujolais. On relève aussi qu’au vieillissement surtout, le gamay noir à jus blanc prend facilement des airs de pinot noir. Pour Michel Bettane, la macération beaujolaise n’est plus aussi uniforme que ce qu’on voudrait nous faire croire. « Elle compte des dizaines de variantes » et elle n’a que peu de différences avec ce qui se pratique traditionnellement en Bourgogne ou dans le Nord de la Vallée du Rhône. « La saturation d’une cuve en gaz carbonique n’est plus la règle », explique en génial observateur du terrain, Michel qui déplore au passage que l’on ait par trop simplifié la nature du terroir en Beaujolais, alors que l’on découvre grâce aux techniques nouvelles qu’il y a « des centaines de sous granites ». Il note aussi que, selon l’état de décomposition, de ces granites, la rétention d’eau s’opère différemment d’une appellation à l’autre et que cela ne correspond pas toujours « au découpage politique du début des appellations ». Comme je suis d’accord !
Voici venir en magnum le très grand vin du jour...
La discussion s’est poursuivie tandis que des « vieux » millésimes nous étaient servis. Déception avec le Morgon 2002 de Marcel Lapierre : déjà trop vieux, simple, creux, un exemple de ce que peut donner la pratique du sans soufre. Superbe Moulin à Vent 2000 des Hospices de Romanèche-Thorins : riche, dense, beaux tannins, joli fruit et allure très Bourgogne. Moulin à Vent 1999 de Georges Duboeuf : joli nez, notes animales, puissance. Talentueux Côte de Brouilly 1999 de Georges Viornery : on sent le raisin hyper mûr, un peu cuit peut-être, prêt à boire, long. Autre Côte de Brouilly 1998 du Château Thivin, un peu sec et vieillot, mais qui se révèle frais et persistant quand on prend le temps de le réveiller. Une série de vins notés deux étoiles, c’est-à-dire moyens : Moulin à Vent 1993 Château des Jacques, Saint Amour 1989 de Loron (Vignes des Billards), Brouilly 1983 Château de la Terrière, Fleurie 1976 de Loron (Château de Fleurie). Pour finir, un inattendu Morgon Côte du Py 1976 du Domaine Louis et Claude Desvignes : un poil dur côté tannins, mais on a tout de suite l’idée d’un grand vin, à la fois minéral et au fruité grillé, mais qui ne masque pas la fraîcheur encore présente. Bon sang ne saurait mentir, ce domaine aujourd’hui dirigé par la jeune Claude-Emmanuelle Desvignes (huitième génération) vinifie trois lieux-dits de Morgon commercialisés à des prix très raisonnables. Le Côte du Py est issu de vignes de plus de 65 ans sur 5 ha. Voir le reste sur le site http://www.louis-claude-desvignes.com. Finir sur ce grand vin de plus de 30 ans, vous l’avez compris, j’étais aux anges.
Michel Smith
Et pour finir, Georges Duboeuf retrouve Michel Bettane.