N’en déplaise à certains que je ne nommerai pas par charité chrétienne – eh oui, chrétien je suis par la force des choses même si je hais les religions – il y a des jours où le markétinge me déboussole complètement au point de me renverser. Plus encore lorsqu’il s’appuie sur des termes anglosaxons comme s’il n’y avait que l’english pour sauver nos braves petits vins. On se souvient du débat ardent lancé par Jacques Berthomeau à l’occasion d’un tonitruant wine symposium aux pieds du Mont Ventoux (voir mon précédent post). Vous vous doutez bien que, vu mon patronyme, je n’ai rien contre l’emploi de l’anglais, langue que je pourrais qualifier de néo natale pour ce qui me concerne. Langue qui fait aujourd’hui ma joie dans le cinéma, la littérature et la musique. Et je parle volontiers d’un vin dans la langue de Dickens avec des amis qui ne parlent pas ma langue natale.
Autant vous le dire crûment, la dernière géniale pirouette médiatique et marketing contrôlée pour tenter de sauver les moelleux et liquoreux de Bordeaux consiste tout simplement en un génial raccourci in English dans le texte : «sweeet» www.sweetbordeaux.com. C’est beau, non ? Pour un public Français qui délaisse le vin, cette nouvelle appellation de «sweet», « sucré » si vous préférez, ne peut que relancer la conso. À l’heure du «light», le «sweet» est assurément dans l’air du temps, don’t you think ? Au point que l’imagination déborde: après le «sweet hour» pour les patrons de troquets, on en vient aux «sweet accords» ou «sweet recettes» (tiens, tiens, du Français) ou encore «sweet tapas», avec l’inévitable avertissement « Bienvenue à la modération ». Zut. Alors !
Tiens, pour agrémenter, au passage, voici une « sweet music », un morceau d’époque de Brenda Lee.
Tout cela me fait c…. ! Navré pour mon vocabulaire, mais dans certains cas, il a l’avantage de me laisser être moi-même. Ce ne sont pas les vins qui sont en cause: j’ai goûté récemment par le truchement de l’excellente attachée de presse des «sweet», puisqu’il faut les nommer ainsi, une sélection formidable de vins à des prix on ne peut plus décents.
Parmi ceux-là, citons le Sainte-Croix-du-Mont (j’adore ce nom désuet, juste en face de Barsac) Château La Rame, le Château des Graves du Tich, le Château des Mailles 2008 et le Château La Caussade 2006 dans la même appellation, le Cadillac (rebelote, j’adore ce nom) Château du Juge également 2006 et le Château Camail 2007, les Loupiac Château du Cros et son petit frère Ségur du Cros 2005, le Bordeaux Saint-Macaire Château Gayon 2009 et le Château Majoureau de la même appellation, j’en passe et des meilleurs.
Sainte-Croix-du-Mont et son exceptionnel banc d'huîtres avec vue sur Yquem...
Tous bons ! Un sans faute ! Et modernes par-dessus le marché. Est-ce une raison pour les affubler du terme dégradant de «sweet» ? Je sais, on va m’opposer le sempiternel mondialisme, en me disant que dans le monde international des cartes de vins, il existe une section «sweet wines». Géniale trouvaille qui nous permet une fois de plus de catégoriser notre vin, de mettre au niveau le plus bas une spécificité bien française copiée, parfois avec maestria, par le monde entier. Bordeaux est devenu international, Chanel, Champagne, Vuitton, Bourgogne, Cabernet, Merlot aussi.
Les amateurs de Hong Kong ou du Wisconsin ont appris tant bien que mal à prononcer Derenoncourt, Châteauneuf-du-Pape aussi. Alors, pourquoi ne pas appeler les choses par leurs noms ? Un Bordeaux blanc peut être sec, moelleux ou liquoreux. Trop subtil pour les grosses têtes des grandes écoles ? Trop compliqué pour le marché Chinois. Il y a des fois ou sweet devient acide. Allez donc au diable !
Michel Smith