Cela fait plusieurs fois que je vous chante le couplet du « Qui aime bien châtie bien », du moins il me semble. Je ne suis plus le seul si j’en juge par le post lu, il y a quelques semaines, sur le site http://www.eccevino.com. Dans un billet quelque peu désenchanté que je vous invite à lire ICI intitulé "Qui Aime Bien-Châtie Bien", notre ami David Cobbold, co animateur du site avec Sébastien Durand-Viel, fait part de sa déception après la dégustation de deux cuvées de Côtes du Roussillon Villages 2007 du très célèbre domaine du Mas Amiel sis à Maury. Alors, en route pour Maury !
Les Decelle dans leur jardin du Mas Amiel à Maury
Non, ce n’est pas parce que David est rugbyman – Britannique de surcroît – qu’il a la dent dure. Comme il le reconnaît lui-même, il n’aime pas tirer à vue fut-ce sur des ambulances. Et il évite les conclusions hâtives si fréquentes dans le Landerneau du pinard. Au contraire, c’est un homme cultivé et courtois, qui certes par moments n’a pas sa langue dans sa poche, mais qui connaît et respecte le travail vigneron. Il se trouve que, sans même s’être consultés puisque c’est Hervé Lalau qui, en bon camarade, m’a proposé de lire ce qu’écrivait David sur son blog, je suis assez d’accord avec ce dernier.
David Cobbold
J’aime, et je suis le plus possible les pérégrinations de ce domaine qui compte probablement parmi les plus beaux du sud de la France. Je suis admiratif devant les moyens déployés avec force conviction par Olivier Decelle, le propriétaire, lequel aurait pu – et il en a les moyens – s’offrir quelques danseuses viticoles au Chili ou ailleurs (il en possède déjà trois dans le Bordelais d’où il tire d’excellents vins d’ailleurs) tout en passant le reste de sa vie avec sa charmante épouse les doigts de pieds en éventail sur une île aux Seychelles (aucun rapport avec Mamie Zinzin), mais ce n’est pas le style du bonhomme.
Le fameux parc à dame-jeannes
Tout a commencé en 1999 lorsque Olivier Decelle rachète ce mas prestigieux (226 ha dont environ 150 ha de schistes noirs plantés de vignes) installé depuis des lustres aux pieds des ruines de Quéribus. Le gars ne lésine sur rien pour redresser le domaine et le rehausser au plus haut niveau. Il entreprend des travaux d’hercule, aménage une cave, embauche un jeune régisseur à qui il fait entière confiance, se lance dans la biodynamie pour déchanter peu de temps après, s’engage dans des replantations décevantes, fait venir Lydia et Claude Bourguignon - que j’appelle sans flagornerie les « Géo Trouvetout des terroirs » -, redessine avec eux un énième programme de replantation. Et toujours pas d’engrais, en dehors d’un compost maison, pas de désherbants ou d’insecticides chimiques. Les vins s’annoncent aux mieux de leur forme, ils sont modernes, élégants, équilibrés, respirent la noblesse des vieilles vignes pour la plupart grenaches et carignans noirs. Bref, tout s’annonce pour le mieux.
Olivier Decelle, fier de ses nouvelles vignes...
Nouvelles plantations en début d'été 2010
Sauf que, hormis le blanc « Altaïr » 2008 (grenache gris pour l’essentiel avec un peu de macabeo), subtil et floral au nez, dense et solide comme un roc, capable même de vieillir dans une bonne cave, depuis deux ou trois ans je reste sur ma faim. Avant d’aller plus loin, je ne dirai aucun mal, bien au contraire, des vins doux dits naturels, du millésime 2008 en particulier, le plus récemment goûté, que ce soit en blanc ou en rouge : superbe « Vintage » élevé 12 mois en cuves béton et tiré à 150.000 exemplaires (15,50 €, à ce tarif, ne surtout pas s’en priver !) et très tannique « Vintage Charles Dupuy » (20% de barriques neuves, le reste en cuves inox pour 18 mois) qui semble bâti pour une très longue vie (32 €). Le « Millésime 1975 » (50 €, un cadeau !), joli rancio de la vieille école, est toujours d’une grande classe, tandis que le « Vintage Privilège L.09 », issu de grappes de grenache noir passerillées à même le schiste, vin exempt de mûtage riche de 192 g/l de sucres résiduels, est un petit régal (20 €).
Mais, tout comme l’ami David, je déchante – et ce n’est pas la première fois – en goûtant les rouges « classiques » que je trouvais fort à mon goût il y a seulement 5 ou 6 ans. « Notre Terre » (70.000 bouteilles), jadis mon favori, me déçoit et ne m’envoie plus au ciel. Je ressens beaucoup d’amertume en le goûtant et les 2007 comme les 2008, élevés pour moitié en cuves bois tronconiques, pourtant gardés et regoûtés sur une semaine, pratique courante chez moi lorsque j’ai un doute, ne m’ont pas emballé du tout. « Carrérades » 2007 non plus (25.000 bouteilles) élevé à la fois en foudre et en barriques, que j’ai trouvé dur et sans personnalité, alors que le 2008, avec plus de barriques, m’est apparu plus complexe, plus intéressant, mais également dur et boisé. J'ai l'impression que le grenache noir d'ordinaire fin et gras, ici associé à la syrah et au carignan, a perdu de sa chair, de sa verve et de son fruit. Qu’adviendra-t-il de ces vins d’ici 5 ans. Je ne demande qu’à voir en espérant m'être lourdement trompé. Cela m’est arrivé plus d’une fois dans ma longue carrière de mec qui se prend pour un grand dégustateur… C’est ce que je souhaite en tout cas !
Michel Smith