Statue d’Aristide Maillol, Place de la Loge à Perpignan
C’est entendu, la femme est l’avenir de l’homme et par la même occase, ça c’est moi qui l’affirme, l’avenir du vin.
Au-delà du fait qu’une telle déclaration s’arrose, je m’explique au travers d’un raccourci que certains jugeront peut-être malhabile. Imaginons un instant que je tombe amoureux là, sur le champ. J’en suis capable. Fou éperdu d’une superbe jeune et jolie fille, je vais chercher par tous les moyens à la faire rentrer dans les mailles de mon maigre filet. Pauvre pêcheur… Pour y arriver j’essaie tout ce qui est en mon pouvoir : la séduire à tout prix est mon but. J’entends déjà le chœur effarouché des chiennes de garde, mais étant plus doué que d’autres jeunes gringalets pour ce qui touche au jus de la treille fermenté, je compte bien sur mes connaissances bachiques afin d’arriver à mes fins et conquérir la donzelle.
Entendons nous : je ne veux pas la saouler, lui faire perdre ses moyens. Simplement la griser. La femme est vin ou n’est point. Si elle ne boit que du thé avec ou sans nuage de lait ou du jus de carotte avec ou sans une pointe de citron, je renonce à l’aventure sans autre forme de procès. Mais si elle s’adonne au vin avec plaisir, alors là je redouble d’efforts. Navré, mais c’est comme ça. J’en ai parlé l’autre jour non pas à mon psy, mais à Jean-Michel Deiss qui était de passage à Paris pour la dégustation des Grands Crus d’Alsace. Avec lui, on peut tout aborder: on n’est jamais déçu, on en a toujours pour son argent. C’est un bavard impénitent, un causeur infatigable, un jouisseur de mots.
-Jean-Michel, lequel de tes trois vins ici présents boirais-tu avant l’amour ?
Sans hésiter, il désigne l’Altenberg de Bergheim, robe dorée, nez hyper fin, amplitude, pointe de sucre, superbe gourmandise. « Tu vois, je monte l’escalier, je suis dans l’attente en allant vers elle. Il y a cette tension. On va vers l’instant et je suis déjà certain que l’on va vers l’union ».
-Bon, et après « l’acte », que vas-tu boire ?
Je m’attends à ce qu’il devise en bon protestant sur la quantité idoine du vin à servir, quel type de verre, la carafe, que sais-je encore. Non, Jean-Michel, en choisissant son Schœnenbourg (2006, comme le précédent), vin pur, précis, magnifique, devient songeur : «C’est le moment de réfléchir sur nos destins. Le vin va nous aider. Nous, les hommes, sommes souvent tristes lorsque ce moment-là arrive. Nous avons besoin de nous remettre de nos défaillances et le vin est là pour ça. Ce vin-là va me permettre de me dire que je suis bien et qu’elle et moi avons de l’espoir, du temps devant nous».
-Et le troisième vin ?
Mûr dès l’approche au nez, complexe au possible, évoluant sans cesse, il passe du minéral aux épices et aux fruits. C’est un Mambourg 2006 quelque peu compliqué, mais diablement long en bouche. « Il a un comportement étrange, une sorte de graine qui aurait survécu grâce à une ère de glaciation avec quelque chose d’usé ».
Je l’arrête à ce stade car son stand ne désemplit pas et tout le monde veut participer à la conversation que j’aurais voulu exclusive. Chacun y va de son observation et ça tourne au ridicule. Je me promets de revenir un jour avec lui sur le sujet.
Une fois chez moi, les questions me reviennent et je tente d’apporter mon grain de sel à cette exploration aussi amoureuse que distrayante. Sûr, vous allez vous foutre de moi, de ma naïveté. Mais essayez donc de jouer à ce petit jeu et vous verrez que c’est assez amusant. Avant de la séduire complètement, d’être « sûr de mon coup » comme on disait non sans arrogance machiste de mon temps dans la cour du lycée, je débouche un grand Champagne. Pas un truc canon archi huppé et ruineux, encore moins un roteux de pacotille ou de boîte de nuit, mais un vin – je dis bien un vin – sexy – je dis bien sexy – revigorant et plein de ressources. Le champagne, c’est comme une invite à faire plus ample connaissance, un de ceux qui commande à se laisser conduire vers l’intimité et plus encore si le sort en décide ainsi. Exit donc les Dom Pérignon, Krug, Salon, Cristal et autre joyau de la couronne champenoise.
Une règle : rassurer plus que frimer. Se montrer intelligent, éclectique, bon vivant, charmeur mais point trop. Gloire à l’équilibre, à la force tranquille, à la sensualité posée. Priorité au William de Deutz (et non à l’Amour, cuvée bien construite elle aussi, mais pas faite pour lier connaissance, mettre en confiance… et puis elle est si évidente, si peu discrète de par son titre…), gloire aussi au classicisme d’un Spécial Cuvée de Bollinger (avec 2 à 3 années de cave), au Terres Rouges de Jacquesson (rosé de Dizy, premier cru très marqué par le meunier), au Vintage Rare de Clicquot (surtout ne pas dire « veuve clito »), un des derniers 1988 encore à la vente, ou encore à la Grande Sendrée de Drappier (divine, poétique, langoureuse en version 2000). Voilà, c’est dans la poche (ou presque) comme dirait Guy Bedos au temps où il se produisait avec Sophie Daumier. Vas-y Jeannot !
Autre moment clé, important, voire crucial, c’est celui qui frôle le passage à l’acte. L’union est quasi-certitude, la fusion sur le point de se réaliser. L’instant est intense, critique. Et la fièvre que l’on associe aux prémices amoureuses commence à envahir l’esprit. Montre-toi magnanime comme chantait la Gréco, sort le grand jeu avant d’atterrir sur le rectangle matelassé, tant convoité, qui te sert de couche. Un peu de chaleur serait la bienvenue dans ce décisif moment de tendresse mêlée de tentation. Place aux rouges sudistes, comme le Mas Foulaquier « Grandes Tonillières » 2006 moitié carignan, moitié grenache (Pic St Loup), chaud, massif, fougueux, long et plein de sève. Avec un tel vin, l’amour a ses chances. Servi frais, il va attiser le feu des premiers baisers. S’il n’est pas dispo, remplacez-le par le Gigondas 2006 « Terre des Aînés », superbe de fraîcheur explosive. Ou encore, par le suave Bandol rosé 2008 de Pibarnon, modèle de persistance et de sensualité, plus proche du grand vin que du rosé de grillade. Il y en a d’autres, principalement dans le Sud.
Enfin, l’amour s’est enflammé, il s’est consumé, les corps sont désormais apaisés, quelque peu engourdis. Il faut retrouver ses esprits tout en continuant de charmer. Se montrer amoureux, tendre, prévenant, attentionné comme l’exige la femme. On peut rester sur le rouge méditerranéen - un 2006 Forts de Léoube tout en équilibre et longueur (Côtes de Provence grenache, cinsault, syrah et cabernet, à part égale), par exemple - ou glisser vers la volupté, l’éclat et la douceur d’un Layon « Les Buandières » 2005 de l’ami Patrick Baudoin. Ou bien opter pour l’exotisme d’un or de Hongrie, un Tokaji 2007 du Domaine Kiralyudvar qu’un couple d’américains passionnés également associé au destin du Domaine Huest à Vouvray fait revivre en beauté. Banyuls, Porto, Jerez, Sainte Croix du Mont (qui s’en souvient encore de celui-là ?), Monbazillac, Montlouis… Autres champagnes, autres saint-émilions, chauds merlots, grenaches capiteux de par chez moi, cinsaults plein d’élan et de verve, la liste est longue de ceux qui peuvent accompagner deux êtres le temps d’un amour. Le vin est l’amour, la femme est le vin, tout s’assemble en une sublime et magistrale symphonie bacchanale. Voilà pourquoi on ne saurait se passer de femmes. Voilà pourquoi ces dames qui n’ont pas d’intérêt pour le vin ne suscitent chez moi aucune passion.
Michel Smith