Lorsque j’ai débarqué dans le Roussillon, je me suis installé à Villemolaque, sur la route du Perthus, en bordure des Aspres, face au Canigou. J’étais à 2 ou 3 km de Tresserre et qui aurait dit qu’un jour, j’allais partager une vigne dans cette commune hautement viticole ? Pas moi en tout cas. J’étais persuadé, à l’époque, que seules les vignes de Collioure et de Banyuls avaient de l’intérêt. J’ai bien changé depuis, fort heureusement. En 1988, donc, j’avais pris rendez-vous avec le seul vigneron des Aspres qui bénéficiait d’une certaine notoriété locale, Fernand Vaquer, citoyen de Tresserre. Un caractère que ce bonhomme qui refusait l’appellation, vouant un culte sans faille aux deux cépages détestés par les instances viticoles, le Carignan et le Macabeu. Par-dessus le marché, à chaque visite, il commençait par engueuler le visiteur en lui disant : « J’espère que vous n’allez pas fumer dans ma cave » ! Je n’en avais nulle intention…
Fernand, qui a toujours bon pied bon œil, est lui-même le fils d’un autre Fernand, rugbyman bien connu d’une équipe de France des années 20. Est-ce de lui qu’il tient ce sacré caractère ? Au début des années 90, Bernard, le fils de Fernand 2, prend la relève avec sa jeune épouse, Frédérique, rencontrée sur les bancs de l’université d’œnologie de Dijon. Ils sont beaux, ont deux beaux enfants, Aude et Julien. Dix années passent et voilà qu’un jour, au moment des vendanges, Bernard est enlevé aux siens. Plutôt que de craquer, Frédérique décide de continuer seule, pour ses enfants, le travail entrepris par Bernard. Aujourd’hui, en dépit des hauts et des bas de la vie, elle continue à se battre pour que perdure le domaine et qu’il reste à ses enfants.
Au domaine Vaquer, depuis toujours, le sieur Carignan est bien présent dans presque toutes les cuvées, excepté il est vrai dans une cuvée de pur grenache baptisée « Exigence ». Le pur carignan, quant à lui, dont plus d’un hectare a été planté en 1999, met en scène de très vieilles vignes. Baptisé « Expression », vendange éraflée, le vin n’est pas forcément vinifié tous les ans (ce fut le cas en 2001 et en 2003) et 20 % du vin est élevé en barriques. Il existe en bouteille classique, mais il est toujours mis en magnum. Ainsi, il reste dans ce format des flacons de 2004, 2005, 2006, ce dernier millésime étant également proposé en jéroboam (85 €).
La vérité est dans le verre de ce 2004 dont il ne restait que quelques exemplaires lors de mon passage. Le vin s’ouvre de plus en plus si on lui laisse le temps de se réveiller. La robe est foncée, presque opaque. Le nez est discret, s’ouvrant avec réserve sur des notes terreuses et épicées. En bouche on sent l’épaisseur du vin, les tannins sont affinés, la fraîcheur est là appuyant la finesse des vieilles vignes. L’équilibre caractérise le vin et la longueur honorable vient signer l’ouvrage en beauté. Toutes les autres cuvées, la plupart Vin de Pays des Côtes Catalanes, du domaine sont à goûter, sans oublier le blanc de macabeu et le rosé. Frédérique assure, comme toujours.
Michel Smith