Ces dernières années, je l’ai côtoyé de loin, par intermittence. Rien d’une relation suivie, juste à chaque fois quelques mots échangés sur l’écriture, un sourire complice, un salut discret. Le temps de remarquer la beauté de son esprit qui se reflétait jusque dans son visage, ainsi que l’allure de son corps, son élégance, son souci de l’autre et ce calme qui le caractérisait. Pas question de le déranger dans ses pensées, de l’importuner avec mes histoires sans importances. Nous côtoyions dans ce même village-hôtel noyé dans la végétation tropicale de notre chère Casamance, la même insouciance, le même besoin de paix intérieure, le même face à face. Parfois, Bernard était rejoint pas son ex-épouse, par sa fille ou par son fils. Des enfants aussi beaux, d’une grande discrétion et d’une grande amabilité.
Nous étions complices en quelque sorte. Bien plus sérieusement que moi, comme si tu t’imprégnais chaque jour dans une vie monacale ponctuée de réveils en fanfare assurés par un bataillon d’oiseaux criards et chamailleurs, tu te repliais dans ta case pour écrire, travailler, te reposer je suppose, te soigner aussi. Ce n’était pas un caprice de star, plutôt un louable besoin de mieux communiquer avec tes pensées. Moi qui tentais péniblement d’achever un ouvrage de moindre importance intellectuelle, ta discipline m’interpellait au point de me forcer à respecter un semblant d’organisation entre la lecture dans mon hamac de plage, le partage d’un apéro et une partie de golf.
Je vais aller cet hiver à nouveau dans cette Paillote du bout du monde et je sais que nous tous nous aurons une forte pensée pour toi. Mais en attendant, puisque, à l’instar de mes amis africains, je considère la mort comme un grand et réjouissant voyage dans l’inconnu, j’ai pensé t’offrir ces quelques verres bus à ton souvenir depuis le jour de ton ultime départ. Il me semble que tu apprécierais le pouvoir d’imagination qu’ils suscitent.
Bernard, je te dédie ce magistral vin de Châteauneuf-du-Pape, Clos des Papes 2007 bu un peu à la va-vite récemment pour être à l’heure aux Chorégies d’Orange. Il a la finesse de ta discrétion, la politesse de tes rencontres vers l’autre et en cela il te ressemble.
Bernard, j’aimerais t’offrir une lampée de cette « Œillade », vigne oubliée du Languedoc, millésimée 2001 et encore toute vibrante de vigueur des années plus tard, tendue tel un fauve, mais laissant apparaître la même grâce féline qui te caractérisait. Regard tendre d’un pays proche des Cévennes vers un homme qui a vécu sa vie et sa mort avec noblesse, proche des gens simples, des gens de la terre.
Bernard, par je ne sais quelle magie dont je crois être le seul maître, je t’adresse dans l’au-delà ce flacon d’Emilio Lustau, East India Solera, Jerez ambré qui te rappellera tes épopées maritimes, celui-là même que les Anglais faisaient naviguer au long cours jusqu’en Inde pour un élevage à la dure, tel que tu l’as connu toi-même sur la Jeanne. Tu sauras le boire religieusement et qui sait, tu découvriras comme moi ce goût qui pourrait bien être celui de la sueur du vin…
Bernard, cher Bernard, je te livre encore par la pensée le jus fermenté de ces jeunes pinots noirs frais et guillerets qu’enfante la douce Catherine Roque en son repaire de Clovallon, aux portes de Bédarieux d’où les vignes contemplent la mystérieuse masse minérale du Caroux. Ils sont les témoins d’une vie d’amour.
Voilà. Et bon vent !
Michel Smith